Installé à Pessac (33) depuis six ans, Bertil Scali signe, avec Raphaël de Andréis, un polar dont l’action se déroule en pleine dictature écologique, dans une ville de Bordeaux devenue côtière
Imaginez Bordeaux, cité lagunaire avec un Grand Théâtre ressemblant à un palais abandonné semi-englouti et des rues d’eau qui arrivent aux fenêtres des premiers étages. Les Quinconces sont aménagées en port, l’estuaire transformé en delta sur l’Atlantique et le Ferret – ou ce qu’il en reste – accessible par une autoroute sur pilotis. Des crocodiles marivaudent dans les marais du Blayais et le dimanche, on fait des méchouis de requin. C’est d’après ce scénario alarmiste, mais en grande partie plausible, que Bertil Scali et Raphaël de Andréis ont bâti la trame de leur polar éco-visionnaire à quatre mains, « Mer ».
Comment le Parisien que vous avez longtemps été a-t-il développé ce sens de la nature et de l’environnement ?
Gamin, je passais mes vacances à la campagne, avec Raphaël (de Andréis, NDLR) qui est mon ami d’enfance – nos mères sont très liées –, à Montrozier, près de Rodez. Le monde rural m’enchantait et les bouses de vaches sur la route ne gênaient personne. Nous passions nos journées dans les champs. Ou on lisait.
Votre père était éditeur, votre mère libraire et auteur. Quel genre de lecteur étiez-vous ?
Je lisais la bibliothèque verte, la bibliothèque rose, Ségur, Hugo, des romans d’aventures. Puis au fil de mes études, j’ai découvert Queneau, Colette, plus tard Miller et Hemingway, Boris Vian qui était très à la mode et la littérature américaine. Mon père était éditeur chez Denoël, ma mère écrivait, je croisais Doisneau ; Lanzmann était notre voisin ; j’ai lu « Les Choses de la vie » à 10 ans parce que nous connaissions Guimard. J’aimais aussi la BD, Reiser, « Fluide Glacial ». Le père de Raphaël a créé les éditions Rivages, il a fait connaître Ellroy et toute la littérature noire américaine. Nous étions vraiment dedans.
On a peine à parler de science-fiction, avec « Mer », vous ne forcez jamais le trait. Et vos personnages vivent pratiquement comme nous.
On ne s’est pas dit : « On va dénoncer », mais plutôt « Trouvons une façon d’inciter à plus de nuances ou de dialogue », et pourquoi pas, rire de ce à quoi conduit une attitude trop radicale. Pour ça, il ne faut pas trop dépayser le lecteur. Et il y a des choses qui ne changent pas !
La transversale documentaire ne plombe jamais le récit, c’est une toile de fond, à la fois détaillée et comme évidente.
C’est une approche de reporter, que je garde dans mes romans.
« Mer » explore les articulations d’une dictature écologique assez radicale !
Bordeaux au bord de l’océan, c’est très probable. La plupart des scénarios donnés restent optimistes, or il y a vraiment un problème. L’urgence est telle que la tentation d’une solution violente, d’une dictature, devient envisageable. Si on ne change par rapidement, on va à ça. Dans « Mer », la dictature écologique s’est imposée comme un instinct de survie pour sauver le monde, et ça marche. On ne peut pas désenclencher ce que l’on a enclenché. Évidemment, la solution démocratique serait beaucoup mieux !
On ressort les vieux albums photo en papier, les livres papier prennent une valeur incroyable après qu’un crash numérique a détruit tous les clouds en anéantissant d’ailleurs des décennies de travaux scientifiques… C’est un vrai clin d’œil au philosophe Ellul !
C’est compliqué, on est le fruit de cette contradiction avec la technologie. Voyez, dans « Air », on pensait exagérer en imaginant l’espace aérien totalement interdit. C’était deux ans avant le confinement où les vols se sont effectivement interrompus sur toute la planète. Jacques Ellul enseignait sur le campus de Bordeaux, c’était un visionnaire – il militait pour une sobriété des modes de vie – méconnu en France, mais étudié dans le monde entier, notamment aux États-Unis. Il était notamment adulé par l’un de nos « maîtres », Aldous Huxley, l’auteur du roman d’anticipation « Le Meilleur des mondes ». « La Technique ou l’enjeu du siècle » de Jacques Ellul était son livre de chevet.
Vous parlez de migrateurs, pas de migrants, à propos, notamment, des Australiens. Or, les migrateurs reviennent…
Migrants nous semblait trop connoté. Dans « Mer », l’Australie n’est plus habitable comme des pans entiers de la planète. Tout à coup, on découvre que les migrateurs sont comme nous. Ils sont dentistes, avocats, ils font des barbecues au fond du jardin, ont des résidences secondaires… Les Occidentaux sont privilégiés, on a du mal à s’imaginer comme des migrateurs, ça plombe d’un coup. L’Australie brûle l’été, elle est inondée l’hiver, vivre y devient très difficile. On a juste imaginé le plus loin possible.
Vos ouvrages n’ont pas de thématique récurrente. Vous êtes passé de « Hitler mon voisin », qui est devenu un film, à « Diana cette nuit-là » en passant par de Gaulle, avec « Le Jour d’avant »
Mes livres sont tous nés de rencontres. Pour Hitler, ça a été un travail de dix-sept ans pour convaincre celui qui avait été son voisin de se confier. Une partie de ma famille avait été dans la Résistance, une autre a vécu la guerre cachée.
Pour Diana, j’ai rencontré le policier qui l’a veillée. J’étais correspondant à Londres pour « Paris Match » en 1997. Je connaissais cette villa où Diana et Dodie avaient le projet de s’installer. Le duc et la duchesse de Windsor y avaient vécu, Charles de Gaulle aussi. De Gaulle, dont on connaît le passage à Bordeaux le 14 juin 1940, mais moins bien ces deux allers-retours entre Bordeaux et Londres les jours suivants. Il y a toujours un lien personnel avec mes sujets.
Vous êtes agent littéraire, vous faites des reportages, mais vous avez décidé de quitter Paris…
En 2015, avec ma femme, nous avons décidé de quitter la capitale pour une ville à taille plus humaine. Je peux travailler depuis n’importe où. À Pessac, j’aime marcher dans les rues, m’émerveiller d’un jardin en friche, d’une maison abandonnée. Le dédale des rues du vieux Bordeaux m’enchante, le Sud-Ouest est un continent… En ce moment, j’explore la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées béarnaises, entre le village de Bedous et l’incroyable gare de Canfranc.
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