Enfant, le petit juif Edgar Feuchtwanger a vécu de 1929 à 1939 en face de l'appartement du Führer, à Munich. Nous l'avons rencontré hier à l'occasion de la sortie de son livre.
Il y a deux regards chez le professeur Edgar Feuchtwanger, 88 ans, quand il s'agit d'évoquer Adolf Hitler. Celui de l'historien spécialiste du IIIe Reich, qui développe sur « le monstre », le dirigeant le plus sanglant du XXe siècle. Et celui, intime, d'ex-voisin juif du Führer, qui se souvient, notamment, d'un homme « plus petit » que son papa et « pas sympa » croisé, gamin, au coin de la rue.
Car voilà, ce témoin exceptionnel a grandi en face de l'appartement du bourreau nazi, dans l'immeuble cossu de ses parents à Munich, de 1929 à 1939. Cette année-là, sept mois avant le début de la guerre et alors qu'il était âgé de 14 ans, il a fui avec sa famille la barbarie pour s'installer au Royaume-Uni. Un pays qu'il n'a plus jamais quitté et dont il a la nationalité depuis 1947. Cette décennie quasiment dans l'antre du Diable, l'ancien citoyen allemand la raconte dans un livre qui vient d'être publié (lire ci-contre).
« Pour les jeunes, cette période-là est devenue abstraite. Mon apport, c'est de montrer, à travers de l'émotion, ce qu'on pouvait y ressentir », nous confie-t-il, de passage hier à Paris. Ce fils d'un éditeur reconnu avait 8 ans quand il a vu pour la première fois de ses propres yeux celui qui vient de devenir chancelier en 1933. « J'allais me promener avec la nurse. On passait devant le bloc de Hitler quand, soudain, il est sorti. Juste avant d'entrer dans une voiture, comme j'étais sur son chemin, il m'a regardé dans les yeux. Il ne m'a pas souri. Il avait son imperméable avec une grosse ceinture et son chapeau. Je n'avais pas peur », assure-t-il en puisant dans sa mémoire intacte.
Pourtant, il aurait eu toutes les raisons de trembler lors de ce face-à-face. Car son oncle, Lion Feuchtwanger, est un célèbre écrivain, auteur du best-seller « le Juif Süss », mais surtout d'un ouvrage satirique sur Hitler et d'articles très acides à son égard dans les années 1930. « Je pense que Hitler ne savait pas que la famille de Lion habitait tout près de chez lui. Parce que, sinon, il aurait fait quelque choseâ?¦ » souligne-t-il.
Celui qui était surnommé à l'époque Bürschi (« petit garçon », en dialecte bavarois) se rappelle aussi qu'à la sonnette du Führer n'apparaissait pas son nom mais celui â?? Winter â?? de sa femme de ménage. De sa chambre au deuxième étage, il observait l'ombre du Guide travaillant le soir dans son bureau, lui aussi au deuxième étage. En bas, il y avait des SS qui faisaient les cent pas. « Je dois admettre que j'étais impressionné par cette exhibition de pouvoir. Parce que le pouvoir, c'est le plus grand des aphrodisiaques », reconnaît-il.
Mais, au fil des mois, l'inquiétude grandit. Un matin de l'année 1934, à l'aube, il est « réveillé par un vacarme dehors ». « J'entendais des bruits de bottes sur les pavés. J'ai regardé par la fenêtre et, là, j'ai vu qu'il y avait de l'agitation dans l'immeuble de Hitler qui a alors quitté les lieux avec sa garde rapprochée. J'ai appris un peu plus tard qu'il partait en fait arrêter son rival, Ernst Röhm, lors de la Nuit des longs couteaux », précise-t-il.
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Un an plus tard, Rosie, la nounou, est contrainte d'abandonner le cocon des Feuchtwanger en raison des lois interdisant aux juifs d'employer du personnel allemand de moins de 45 ans. A partir de « 1935-1936 », Edgar ne peut plus approcher le domicile de l'auteur de « Mein Kampf ». « Il y avait des barrières partout avec en permanence trois voitures devant. Les gardes du corps en chemise noire occupaient tout le rez-de-chaussée », décrit-il.
A la maison, « le salaud d'en face » est au cÅ?ur de toutes les discussions des grands que le petit Edgar écoute en cachette sous la table. « Il occupait toute la scène, on ne parlait que de lui », résume-t-il. En novembre 1938, au lendemain des pogroms de la Nuit de cristal, il entend frapper à la porte. Les hommes du sinistre Goebbels viennent arrêter son père, qui sera alors emprisonné six semaines au camp de concentration de Dachau. De retour près des siens, le papa décide de s'exiler en Grande-Bretagne. « En étant juif et avec un nom si connu d'opposant, on peut dire qu'on est des miraculés », souffle l'octogénaire en costume-cravate.
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