Par Anne-Lise Carlo
Publié le 30 janvier 2021
Installée au beau milieu des vignes, cette ville girondine peut s’enorgueillir d’un patrimoine architectural à la diversité surprenante. De la cité-jardin de Le Corbusier aux villas Belle Epoque en passant par le très expérimental campus universitaire.
Déguster des grands crus de Bordeaux en admirant des chefs-d’œuvre architecturaux… Derrière la promesse de ce petit paradis, une ville, Pessac, en Gironde. Ici, nombreuses sont les maisons avec « vue sur vigne », bordées de cépages de l’appellation réputée pessac-léognan, qui s’étalent sur les coteaux au milieu de la métropole bordelaise. Une architecture locale marquée par la pierre blonde des châteaux, chartreuses, échoppes et autres maisons de maître des vignerons. « En la matière, le domaine du Pape Clément est le plus célèbre de cette balade pessacaise », estime Pascale Larroche, guide spécialisée en œnotourisme.
Un château mystérieux, digne des plus beaux contes de fées, surplombe le domaine viticole des Carmes Haut-Brion et un chai ultracontemporain du designer Philippe Starck.
Considéré comme l’une des plus anciennes propriétés locales avec des vendanges dès 1252, le vignoble porte le nom d’un de ses plus illustres propriétaires, Bertrand de Got, devenu le pape Clément V en 1305. Depuis les hautes fenêtres du manoir néogothique transformé en chambre d’hôte, on observe à perte de vue les lueurs du soleil d’automne se poser sur les hectares de cette vigne « bénie ».
A quelques rues de là, se déploie l’œuvre de l’autre « pape » de Pessac, l’architecte Le Corbusier. Au début des années 1920, Charles-Edouard Jeanneret-Gris n’est pas encore ce monstre sacré de la construction moderne quand il dessine ici les plans d’une future cité-jardin ouvrière. Le jeune architecte trouve en l’industriel bordelais Henry Frugès un mécène attiré par l’avant-gardisme. « Allez jusqu’au bout de vos théories. Pessac doit être un laboratoire », dit-il à Le Corbusier, qui publie alors son livre-manifeste Vers une architecture (1923).
Celui-ci imagine une petite ville autonome, une utopie urbaine expérimentale fondée sur la standardisation et la construction modulaire. Maisons Zigzag, Quinconce, Arcade, Jumelles, Isolées et Gratte-ciel… Soient cinquante blocs rectilignes et polychromes toujours debout. Inscrite avec l’œuvre de Le Corbusier au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2016, « la Cité Frugès suscite la curiosité et attire beaucoup de touristes », explique Cyril Zozor, chargé de mission et de développement de la cité. Dans la maison témoin qui se visite, ce dernier présente ainsi une exposition dévoilant une modélisation virtuelle des autres bâtiments de l’ambitieux projet de Le Corbusier qui n’ont finalement pas vu le jour à l’époque. Pour les actuels propriétaires, le défi principal reste celui de la restauration. Vingt-sept habitations ont déjà retrouvé leur aspect initial et certains habitants plongent ainsi dans le « chantier d’une vie ».
« J’ai consacré huit ans à la restauration de ma maison entrée dans notre famille depuis 1966. C’était un travail colossal que j’ai mené en grande partie seul », confie Vincent Donet, passionné de Le Corbusier. « Avec 400 personnes accueillies dans ma maison en une seule journée du patrimoine, il a fallu que je prenne sur moi », explique-t-il, un peu dépassé par l’engouement autour de son habitation, teintée d’un beau vert pâle corbuséen et se fondant ainsi dans la végétation. Non loin de là, d’autres bâtisses, inoccupées, dépérissent comme un tombeau de béton à ciel ouvert.
Forêts de pins et salle de bal
Il y a d’autres lieux endormis à découvrir à Pessac, comme ce château mystérieux, digne des plus beaux contes de fées, qui surplombe le domaine viticole des Carmes Haut-Brion. Ici, la terre du vignoble est riche de graves, d’argiles et de sables permettant de produire un cru très apprécié, toujours d’appellation pessac-léognan. Mais l’originalité du domaine réside dans le surgissement de la modernité que cette ancienne terre d’église s’est permise : un chai ultracontemporain du designer Philippe Starck y trône depuis 2016, dont l’architecture résonne comme un hommage au passé maritime des négociants bordelais. Depuis sa petite mare, cette immense coque de navire retournée, recouverte d’un aluminium sombre, semble en effet prête à fendre les flots. « La mer n’est pas si loin, le bassin d’Arcachon non plus », s’amuse Pascale Larroche.
Ce n’est pas un bateau, mais un train qui relie Pessac à la station balnéaire de la côte Atlantique. Est-ce cette proximité géographique qui donne aux deux villes cet air de ressemblance ? Dix-sept villas du quartier du Casino, au centre de Pessac, rappellent fortement celles de la Ville d’hiver d’Arcachon. Toits pointus, verrières, balcons, céramiques, bow-windows, vitraux, ces maisons à l’architecture dite « pittoresque » et inspirées des arcachonnaises ont un cachet rare. « Ici, on préfère quand même les appeler des pessacaises », précise en souriant Isabelle Lafon, chargée de projets patrimoine et tourisme à la mairie de Pessac.
Sur le pignon des villas, des prénoms ou surnoms féminins, des noms de fleurs comme la « Villa Mimosa », la « Girofla » ou la « Rieuse » finissent de planter ce décor Belle Epoque né à la toute fin du XIXe siècle. Des curiosités architecturales que l’on doit à l’architecte Hector Loubatié et à l’entrepreneur Charles Perriez, entraînés par un promoteur inspiré, François Pommez. Construit au départ autour d’un casino rapidement disparu, ce quartier raconte le passé de divertissement de Pessac où l’on venait prendre le « bon air » grâce à ses forêts de pins et s’amuser dans la salle de bal L’Elysée. Les « pessacaises » étaient, elles, occupées par des bourgeois bordelais qui y paradaient le temps du week-end.
Pour retrouver le chemin des vignes, il faut, étonnamment, partir en direction du grand campus universitaire que se partagent les communes de Pessac, Talence et Gradignan. Une miniville bordée par les terres viticoles et les longues pistes cyclables, un poumon vert qui accueille plus de 70 000 étudiants la semaine et des Pessacais faisant leur jogging le week-end. « Après la guerre, Bordeaux rêvait d’un campus à l’américaine comme on en voyait à Los Angeles, Stanford ou Berkeley. C’est ce choix qui va donner au projet sa dimension monumentale, tout en perspectives, aérée, aérienne », affirme Bertil Scali, auteur du livre Pessac ville moderne (Les éditions du Pic, 2020) avec le photographe Patrick Messina.
Le domaine universitaire commence à sortir de terre en 1960 des mains de l’architecte René Coulon qui construit la faculté des sciences. Soixante ans plus tard, ce campus reste un lieu d’expérimentation architecturale avec, entre autres, la déconcertante résidence Escabelle réalisée par le Français Rudy Ricciotti ou le singulier cube couleur vert d’eau de la Maison des arts de l’Italien Massimiliano Fuksas. Longtemps mal-aimée par les Bordelais, « cette juxtaposition de styles architecturaux, souvent horizontaux et épurés, a fini par dessiner une esthétique singulière », estime Bertil Scali.
La déambulation dans ce campus ne peut se terminer sans un passage au pied du quartier Saige-Formanoir. Huit tours de dix-huit étages (dont trois devraient être bientôt détruites) sont plantées là depuis les années 1970. Leur allure rappelle la silhouette de l’immeuble Mouchotte du 14e arrondissement de Paris. Logique, c’est le même architecte qui a œuvré aux deux endroits, Jean Dubuisson. Revers des grands ensembles, les barres pessacaises restent un quartier difficile. « Considérées par beaucoup comme une erreur architecturale, elles sont pourtant souvent comparées aux œuvres de l’architecte mythique Ludwig Mies van der Rohe », confie Bertil Scali. Ce Germano-Américain qui a réinventé l’art du gratte-ciel ne renierait pas ces tours qui dessinent la ligne d’horizon de Pessac, comme une dernière carte postale architecturale.
Carnet de route
Y aller
TGV jusqu’à Bordeaux, puis TER depuis la gare Saint-Jean, Pessac n’est qu’à cinq minutes (ticket à partir de 2,20 euros).
Se loger
A Pessac, chambres d’hôtes du château Pape Clément. Un magnifique petit château néogothique avec vue panoramique sur un des domaines viticoles les plus célèbres du Bordelais. Les chambres ou suites, chaleureuses, sont décorées avec goût, lit king size et climatisation. A partir de 176 euros avec petit déjeuner.
A Bordeaux, Eklo, un hôtel-auberge très abordable et design. Dortoirs à partir de 20 euros la nuit. Chambres classiques à partir de 40 euros la nuit. Studios/apparts à partir de 72 euros la nuit, parfaits pour les familles.
A voir, à faire
Plusieurs circuits de dégustation et visites des chais de Pessac-Léognan sont à découvrir grâce à Bordeaux Wine Trip, site de Gironde Tourisme. Ils peuvent aussi se faire à vélo avec les Ateliers au Château.
Pour une visite commentée de la Cité Frugès, demander une réservation à kiosque@mairie-pessac.fr ou au 05-57-93-65-40.
Retrouvez l'article complet sur le site du journal Le Monde
Comments