L'arbre devant la maison
- bertilscali
- 8 sept.
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Dans le village de mon enfance, on se retrouvait sous l’arbre du clos ou dans les branches de ceux des rives. Quand je marche dans les rues, je regarde les cyprès qui se dressent contre les villas, les branches des pins parasols qui s’étalent dans le ciel. J’entends les pépiements. La nuit, j’écoute la chouette de notre rue, cachée dans un arbre, quelque part. Lors des visites que j’organise dans les maisons de Pessac, j'évoque cet olivier sur la terrasse, ce noisetier qui abrite le jardin, ce catalpas qui garde la chambre au frais, même en plein été. Ils donnent toute leur valeur aux maisons qu’ils accompagnent, parfois depuis des siècles. Ils sont le bruissement des feuilles, le changement des couleurs au fil des saisons. La fraîcheur, la douceur. Étonnamment, on me demande souvent si on pourra les abattre pour creuser une piscine – ou juste pour ne pas avoir trop de feuilles à ramasser à l'automne. On veut de la lumière, du ciel, du soleil. Je comprends cela. Mais l'image d'une pelleteuse en train de dessoucher un arbre centenaire m'est difficile. Le réchauffement planétaire a heureusement quelques bienfaits : il fait changer les mentalités. Les communes limitent l'abattage des arbres, et même des arbustes. On déracine moins. Contraints de devoir conserver ces arbres et d'adapter leurs projets à leurs feuillages, de plus en plus d’habitants s’inspirent de l’esprit d'enforestation, ce mot ancien ressuscité par l'écrivain Baptiste Morizot, qui trouve ses origines dans l’esthétique Art and Craft initiée par William Morris et John Ruskin et les villas du Style Prairie, noyées dans la végétation, telle La Maison sur la Cascade, de Frank Lloyd Wright. Et si l'on importait la beauté des jardins japonais, qui mêlent ombre et lumière grâce à entrelacs de cerisiers, de bambous, d'érables et de mousse ? Les poètes zen du Japon médiéval ont créé le mot wabi-sabi pour désigner cet art de l'imperfection, cette beauté impalpable, dont parle le philosophe Alain de Botton : “Un mot apparut, wabi - dont aucune langue occidentale, d’une façon révélatrice, ne possède un équivalent direct -, qui associait la beauté aux choses simples et sans prétention, inachevées, fugitives. Il y avait quelque chose de wabi dans une soirée passée seul(e) dans une cabane au milieu des bois, à écouter la pluie” (L’architecture du bonheur, Mercure de France, 2006). Car la végétation, les arbres, les branches et les feuilles, ce sont des lumières, de l'ombre, mais aussi des sons. “Ce qu’il y a d’agréable dans le bruit du vent soufflant sur une forêt de pins, c’est que ce bruit n’a aucune arrête, il est rond,” écrit le poète Henri Michaux (La nuit remue, Gallimard, 1967). Ils abritent les oiseaux, attirent le vivant. “Quand on entend le chant, on se sent bien appartenir à cette histoire, ce destin commun des vivants de la Terre”, estime l’écrivain Baptiste Morizot (Manières d’être vivant, Actes Sud, 2020). Alors, le matin, quand je me promène avec notre chien dans les vignes près de chez nous, je regarde cette maison, et surtout son arbre. Ce petit supplément d’âme, elle l’a. C’est un arbre, ses lumières, son ombre – et ses oiseaux.
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