Dystopie
Par Vladimir de Gmeline
Publié le 03/09/2019 à 10:30
Dans le roman "Air", la science-fiction imagine une dictature qui impose les bons comportements aux citoyens et traque les mauvais. La police n' y plaisante pas avec le tri des déchets.
Que se passerait-il si, poussée par l’urgence climatique, une dictature s’installait en France pour imposer l’écologie par la force ? C’est le propos de Air, passionnant roman d’anticipation qui voit la vie de Samuel Bourget, cadre dans une entreprise de recyclage de pneus, basculer lorsqu’il se retrouve traqué, comme des milliers d’autres citoyens, par une police écologique intraitable. Conscient de sa responsabilité et de celles des générations précédentes dans la dégradation de la planète, il a du mal à changer ses habitudes. Qu’importe, le gouvernement, présidé par une jeune femme élue démocratiquement et un général à la retraite pour le moins réactionnaire, va se charger de l’y forcer. Après un référendum, l'exécutif s’arroge les pleins pouvoirs. On trace les mauvais citoyens grâce à leur empreinte numérique qui permet de repérer leur consommation passée, des bonus-malus écologiques donnent accès à des emplois réservés ou vous mettent au contraire dans le collimateur de la cellule AIR (Artificial Intelligence Research) de la police écologique, les enfants sont poussés à dénoncer leurs parents, le divorce est interdit afin de diminuer les surfaces habitées.
Air, passionnant roman d'anticipation qui voit la vie de Samuel Bourget (...) basculer lorsqu'il se retrouve traqué, comme des milliers d'autres citoyens, par une police écologique intraitable…
Mieux vaut ne pas se trouver sur la "liste carbone" et envoyé en camp de sensibilisation écologique. Samuel Bourget se réfugie sur le plateau de l’Aubrac, en Aveyron, avec sa femme infirmière et ses deux enfants. Avec d’autres fugitifs et des habitants, ils constituent une poche de résistance à la dictature. Déconnectés par obligation, ils y réapprennent à vivre de manière naturelle mais choisie, au rythme de la nature, inventent des solutions écologiques. Loin d’être une critique de l’écologie, Air utilise tous les ingrédients de la littérature de fiction pour susciter la réflexion sur nos comportements, nos habitudes, et dégager des pistes. Palpitant, souvent drôle, c’est aussi une déclaration d’amour à une des plus belles régions de France, l’Aubrac. Un plateau sauvage dont sont originaires les deux auteurs, Bertil Scali, écrivain (Hitler, mon voisin, témoignage traduit en quatorze langues) et Raphaël de Andreis, responsable d’un grand groupe de communication.
Marianne : Air est-il un livre anti-écologiste ?
Bertil Scali : Pas du tout, c’est même exactement le contraire. En revanche, c’est la critique d’un système autoritaire qui se met en en place pour parvenir à un résultat qui peut être obtenu par la voie démocratique. C’est ce que déplore le héros. A la fin, la planète est sauvée mais était-il nécessaire de mettre en place une dictature, puisque Samuel et ses amis y arrivent en cherchant, en se concertant, en se parlant ? En étant poussés à se cacher, les personnages vont s’épanouir, les enfants grandir loin des écrans, le couple se retrouver. Tous vont progresser, mentalement, psychologiquement et physiquement. Cette dystopie est une fable qui tend à montrer que l’écologie, ça marche, elle est indispensable, qu’elle soit imposée ou souhaitée. Quand elle est souhaitée, c’est quand même mieux. Mais cela nous demande d’être capable de changer nos habitudes, ce qui semble le plus difficile car les solutions existent, on les connaît.
Ce que vont vivre les personnages, contraints et forcés, est aussi une prise de conscience et une expérience qui va les régénérer. On les envie.
C’est un peu un fantasme de fin de vacances. On passe du temps en famille, avec des amis, on vit à un autre rythme, proche des éléments, et on se dit "si on restait ?" Et puis c’est une manière de réfléchir au sujet. Et également d’exploiter cette crainte que nous avons de la montée des populismes. Dans ce livre, il y a ce qui est imposé à grande échelle et ce qui est fait au niveau local. Par exemple l’État supprime les moteurs thermiques, construit des zeppelins à énergie solaire qui remplacent les hélicoptères, et dans l’Aubrac, les gens redécouvrent le voyage à cheval, on fabrique du kérosène avec les déchets des villes, on invente une peinture photovoltaïque qui transforme la vapeur en hydrogène. Ces solutions existent, elles sont réalistes mais on ne les applique pas encore.
Par exemple nous allons rentrer dans l’âge du bois, c’est annoncé très clairement pas les scientifiques. C’est la matière première de demain. Il y aura des immeubles en bois, du plastique de bois, des lasers de bois. Cela passe donc par l’agroforesterie, la reforestation, qui permettra d’avoir plus d’ombre et plus de nutriments dans la terre. Il y a aussi des solutions imaginaires mais souhaitables. Les toits sont capables de réutiliser 80% de l’eau, il y a de petites éoliennes individuelles partout. Quand on achète une voiture électrique le constructeur est tenu d’installer une éolienne chez vous. Il y a bien sûr la suppression de la lumière dans les villages pour mettre fin à la pollution visuelle et au gaspillage d’électricité. On fait de la viande artificielle et on supprime les abattoirs industriels, on met en place de nouvelles politiques agricoles qui permettent de redécouvrir les bienfaits de la jachère, le maintien des matières organiques dans les sols.
"L’écologie, comme le libéralisme, touche nécessairement tous les domaines"
Mais pour vous ce genre de dictature est-il possible ? Il y a par exemple des gens qui trouvent que le discours, "catastrophiste" selon eux, des jeunes générations peut basculer dans l’autoritarisme et donnent en exemple certains propos de Greta Thunberg comme "le changement s’annonce que cela vous plaise ou non, le pouvoir appartient au peuple".
Le héros se fait engueuler par sa fille, qui n’a pas tort, elle lui dit "qu’est ce que vous avez foutu, comment ça se fait qu’on en soit là ?" Greta Thunberg exprime plus de peur qu’autre chose. Il peut y avoir des dérives politiques et elles ne sont pas propres aux écolos. Il faut que nous nous emparions tous de ces questions de manière à ne pas les laisser à quelques uns qui seraient susceptibles de verser dans l’autoritarisme. Changer ses habitudes c’est difficile pour les adultes mais aussi pour nos enfants, qui sont très concernés mais qui sont nés avec les portables, les ordinateurs et les réseaux sociaux, dont l’empreinte carbone est très forte. Dans le roman, ils vont avoir du mal au début et progressivement cela va leur permettre de retrouver une relation à eux-mêmes, au temps, à la famille et au couple.
Nous nous sommes fait plaisir en écrivant, nous avons retrouvé notre jeunesse. Les VOD et le streaming ont disparu, alors ils retrouvent le ghetto blaster, le film qu’on regarde en famille en DVD ou en VHS. Il y a un côté vintage, on s’est amusés.
C’est aussi une vraie déclaration d’amour à une région…
Bien-sûr. L’Aveyron, mais aussi le Cantal, le Lot, la Lozère, ces régions restées relativement à l’écart et où il y avait une façon de vivre dont nous avons beaucoup à apprendre en termes d’écologie. Il y avait des habitudes qui peuvent paraître dépassées mais qui sont porteuses de leçons. On tuait le cochon sur la place du village, tout le monde venait, et après on utilisait absolument tout, il n’y avait aucune déperdition. En dehors des considérations sur la souffrance animale, du point de vue de l’absence de gaspillage il n’y avait pas mieux. On avait pas de frigo, pas de salles de bains, on ne se lavait pas deux fois par jour en utilisant des quantités phénoménales d’eau, et les gens n’étaient pas sales, ne sentaient pas mauvais contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. Nombre de travaux scientifiques aujourd’hui montrent qu’il n’est pas nécessaire de se laver autant que nous le faisons aujourd’hui.
Ce livre a été un vrai plaisir d’écriture et on espère que ce sera un plaisir de lecture. Dans nos familles les enfants et les adolescents le lisent, les oncles et les tantes : cela permet de discuter de façon joyeuse et pas du tout conflictuelle d’un sujet qui provoque souvent des tensions. C’était un de nos objectifs.
>> Air, de Bertil Scali et Raphaël de Andreis, ed. Michel Lafon, 313 pages, 17,95 euros
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